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TikTok TikTok… Voici venue l’heure de la musique (algo)rythmique !

Que ce soit « Old Town Road » de Lil Nas X, ou « Anissa » de Wejdene, on a tous déjà eu un son sorti sur TikTok en tête.. Et cela n’a rien d’étonnant. Pour Sébastien Duclos (directeur du label de Gims et Vitaa, entre autres), TikTok est le plus gros phénomène dans l’industrie musicale depuis 2020. Le Top des vidéos les plus streamées sur le réseau social est d’ailleurs scruté avec attention par les producteurs qui cherchent à repérer les artistes prometteurs… 

Mais le phénomène TikTok n’est que la suite logique de la transformation de l’industrie musicale de ces dernières années, qui a vu le streaming prendre le contrôle absolu du marché (le géant suédois Spotify en tête), modifiant inévitablement les pratiques des artistes et des producteurs. C’est sur la manière dont le streaming a modifié la production musicale et sur les nouveaux fondements économiques de l’industrie que nous allons nous pencher dans cet article.

La révolution streaming

Si l’industrie musicale a connu une crise au début des années 2000, face à la montée du piratage et à la chute des ventes de disques, force est de constater que la croissance est bel et bien de retour dans le secteur. En 2020, et malgré la crise sanitaire (qui a finalement plus été un booster qu’un frein), les recettes de l’industrie musicale s’élevaient à plus de 12 milliards de dollars, en hausse de +9,2% par rapport à l’année précédente. Fait encore plus marquant : le streaming représentait alors près de 83% de ces recettes globales !

Face aux leaders du streaming, le disque physique n’en mène pas large : les ventes d’albums ne représentaient déjà que 9% des revenus de l’industrie en 2020, tandis que les téléchargements numériques se partageaient seulement 6% du gâteau. Ce sont bel et bien les abonnements payants (7 milliards de dollars) et les abonnements gratuits (plus de 700 millions de dollars) aux plateformes de streaming qui captent l’écrasante majorité des recettes de l’industrie musicale en ligne.

Les leaders du secteur, nous les connaissons tous : le suédois Spotify, numéro 1 du streaming dans le monde, l’américain Apple Music et le français Deezer (vive le Made In France !). Fait notable auquel on pense peu : si Spotify domine le streaming mondial, Youtube est bel et bien la première plateforme d’écoute musicale à l’échelle de la planète.

Cette transformation radicale du marché musical s’est opérée un peu plus tardivement en France. C’est en 2018 que le tournant a eu lieu : pour la première fois, le numérique (57%) générait plus de recettes que le physique (43%) dans le secteur.

Côté artistes, les choses sont plus complexes. Alors qu’ils bénéficiaient autrefois largement des ventes d’albums, ils dépendent désormais des concerts pour assurer leur rentabilité financière. Car si le marché du disque ne s’est jamais totalement effondré (contrairement à ce que prévoyaient certains observateurs du secteur dès la fin des années 1980), il a chuté drastiquement. Devenu presque un marché de niche à l’heure actuelle, il attire certains nostalgiques ou amateurs de supports physiques : le vinyle connaît d’ailleurs une croissance inattendue, avec des ventes quasiment multipliées par 5 entre 2014 et 2018, dont 30% sont le fait des moins de 30 ans !

Un nouveau modèle économique qui impacte la production

Étant devenus les principaux canaux d’écoute musicale pour tout un chacun, il est logique que les plateformes de streaming influencent directement la manière même de produire de la musique. Ces évolutions sont d’ailleurs aujourd’hui l’objet d’études universitaires. Hubert Léveillé Gauvin, doctorant en théorie musicale américain, décrit ainsi un raccourcissement significatif (-78%) des introductions instrumentales au sein des chansons populaires, entre 1986 et nos jours. Soit 18 secondes de musique en moins !

Et pour cause : alors que l’utilisateur d’une plateforme de streaming est face à des millions de chansons accessibles immédiatement, prendre le risque de l’ennuyer avec une introduction un chouïa trop longue peut amener l’artiste à être zappé et à disparaître dans l’océan des productions disponibles. Face à ce « trop de choix », le milieu du streaming musical est ultra-compétitif et l’attention de l’auditeur est rare et précieuse. Même s’il le voulait, il ne pourrait jamais écouter l’ensemble de la musique disponible…

Incontestablement, les réseaux sociaux influencent la manière de produire la musique. L’économie de l’attention mène la danse et il s’agit de faire toujours plus catchy, toujours plus rapide. Hubert Léveillé Gauvin constate d’ailleurs que le tempo global des productions musicales s’est accéléré de +8% depuis 1986. La voix est privilégiée aux parties instrumentales, car elle capte mieux l’attention de l’auditeur, exactement comme dans la publicité. Les producteurs et les artistes misent sur des phénomènes de mode parfois très éphémères, comme le montrent les tubes qui émergent sur TikTok.

Influencées par les nouvelles technologies déployées dans l’informatique et dans la finance, les plateformes de streaming mettent en place des algorithmes très puissants qui jouent énormément sur la visibilité finale des productions musicales. Filtrage collaboratif (« Si vous avez aimé cette chanson, vous devriez aimer celle-là »), recommandation thématique (« Découvrez cet artiste dans le même style musical ») et radios thématiques (des flux musicaux inspirés directement des goûts de l’auditeur)… Comprendre et jouer avec les algorithmes est plus que jamais indispensable pour se démarquer et avoir du succès.

L’industrie musicale a dû s’adapter aux contraintes des plateformes : productions raccourcies, moins instrumentales, essayant constamment de surfer sur les modes pour plaire aux algorithmes et capter le plus efficacement possible l’attention du public… qui est lui-même perdu dans un océan de contenus disponibles.

Une situation finalement paradoxale : alors que la diversité musicale et la qualité disponible n’ont jamais été aussi importantes, vivre de la musique parait mission (presque) impossible sans suivre les tendances ! Ce qui pose bien sûr la question (pas vraiment nouvelle) de la standardisation de la musique. Lorsque ce sont davantage sur des critères marketing (essayer de coller à ce qui marche le mieux auprès du public et des algorithmes) et non artistiques que les producteurs et les artistes se basent pour composer leurs morceaux, on se retrouve inévitablement avec une production en grande partie formatée

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